temps estimé pour lire ce billet : 4 minutes
Ceci est la deuxième partie de ce billet
Vision
D’abord, pas besoin de dire pourquoi on se transforme puisque tout le monde le veut. Et puis, sans vision, vous êtes sûrs de ne pas y arriver.
Aller où d ailleurs, hein ? Et comment sauriez-vous que vous avez réussi ?
Contentez-vous d’injonctions vagues comme « Transformez-vous » – notez bien le « vous » , il faut bien qu’ils sentent que ce sont eux qui doivent se transformer, bien sûr, pas vous -, ou aussi « Il faut aller dans le cloud » ou encore « Il faut se digitaliser ». C’est évident, personne ne dira le contraire et cela vous permettra de garder les choses assez ouvertes pour changer d’avis en cours de route, ou de critiquer ce qui sera fait, vu qu’il n’y a pas de « critère de réussite ». De plus, vous pourrez à tout moment dire « ça ne va pas assez vite », sans trop de risques… ( ou « trop vite », selon les nécessités du moment…). Enfin, si vous êtes vraiment désespérés et que vous n’avez pas les moyens de vous offrir un grand cabinet de consultants, il existe d’excellents générateurs automatiques de visions1 , conçu d ailleurs par des transfuges des précédents. Il vous restera juste à faire la mise en forme du powerpoint vous-mêmes. 2
L’innovation en Agile
Ce qui est sûr, c ‘est qu’il faut « innover ». On ne peut pas se transformer et faire la même chose , n’est-ce pas ? Et comme l’agile est à la mode, c’est bien naturel de faire de l’innovation en agile… Bon, l’agile stricto sensu , à la SCRUM, nécessite un Product Owner (P.O.) qui définisse où aller et donc qu’il le sache AVANT ! Ça défie un peu le concept d’innovation, mais personne n’y verra que du feu…
Dans un domaine de haute technologie, personne ne peut comprendre toutes ces nouvelles options techniques qu’il faut trancher, aussi choisissez arbitrairement, car vos « collègues » ne pourront contre-argumenter avec une contradiction sensée (basée sur quoi , hein ? Comment trancher ce qui est encore indéfini). Et pour être tranquilles tout en paraissant neutres, choisissez un P.O. pas trop technique, afin qu’il ne prenne pas parti et qu’il filtre tous ces choix techniques, qu’il ne pourra appréhender lui-même, et donc qu’il n’osera pas vous soumettre à arbitrage, de peu qu’on lui demande d’expliquer, et qu’on découvre son incompétence.
Enfin, pour faire bonne mesure, dites à vos équipes qu’ils ont du temps pour explorer et un droit à l’échec, mais n’oubliez pas de leur mettre une deadline et de critiquer le manque de résultats 3 mois plus tard. Histoire de recadrer un peu et de montrer qui est le chef, bon sang !
Iso Budget
Si par hasard, un chef de service « dissident » privilégie l’investissement sur le long terme, (à budget égal), il ne saura plus mener les affaires courantes de manière aussi efficace qu’attendu (que toujours attendu en fait ).
Et donc, la qualité de service (QoS) va baisser, ce qui va générer des réactions qui vont vite ramener le focus du dissident dans « le présent ».
Par exemple, s’il commence à changer le profil des gens qu’il recrute pour qu’ils correspondent à la future cible, disons plus évoluée, mais qu’il leur fait faire des tâches correspondantes aux tâches actuelles, (en attendant que tout soit prêt), les nouveaux embauchés vont s’ennuyer, voire partir, et s’il leur confie des nouvelles missions, la charge va augmenter sur les effectifs actuels – « legacy » – qui ne vont pas tarder à le faire savoir…
Et donc naturellement, si le chef de service veut survivre, il saura « faire les bons choix », c’est à dire « mettre le projet de transformation en pause » …
Voila. Et si vous êtes intéressés à comprendre ce qui fonde cette amusante argumentation, c’est documenté en résumé dans la troisième partie de ce billet.
- Recharger la page si la vision ne vous convient pas. ↩
- L’option inverse est tout aussi intéressante, très en vogue dans l’administration française depuis 2010. Définir dans un document de 150 pages le plan en détail de la nouvelle cible, avec des indicateurs d’avancement très précis, même si difficilement mesurables, et la roadmap sur 5 ans. Engagez tout le budget disponible là-dessus pour prouver votre détermination au ministre, et puis ça permet d’éviter toute influence, toute déviation pour les 5 prochaines années , et aussi de définir le budget avec précision et déterminisme ! Ainsi, on fait fi des aléas et de tout ce qui pourrait survenir et qui ne serait pas planifié en avance ! L’Etat Français aura ainsi encore prouvé qu’il est plus fort que le VUCA . Non mais… ↩